Après la lecture du dernier roman de Philippe Forest, Le siècle des nuages, au titre emprunté à la poésie d’Apollinaire, on ne prendra plus l’avion de la même façon. On pensera à tous ceux qui, par leur audace, ont vécu au-dessus des nuages, aux pionniers de l’aéropostale et à ceux qui ont prolongé l’expérience jusqu’à nos jours. Dans le ciel du vingtième siècle, ils ont participé, célèbres ou anonymes, à ce que l’auteur nomme «la plus grande des utopies». Philippe Forest évoque les uns, Mermoz, Saint-Exupéry, et les autres, en particulier son propre père qui, terminant sa carrière de commandant de bord à Air France en 1981, regrettera de n’avoir jamais piloté le Concorde.
Philippe Forest raconte la vie de son père, ce qu’il en sait comme fils et ce qu’il en imagine comme écrivain. Témoin filial, il dessine une figure paternelle immergée dans l’Histoire de son siècle, un vécu au jour le jour dans l’incertitude où naissent les destins. Ainsi le 17 juin 1940, jour d’exode sur les routes bombardées de France, sera aussi celui de la rencontre improbable et fondatrice de ses futurs parents fuyant Mâcon et l’invasion allemande. Devenu romancier pour retenir par l’écriture la trace de sa fille trop tôt disparue, notamment dans l’émouvant Sarinagara, Forest interroge ici l’un de ses thèmes de prédilection, l’impermanence, en revenant sur toutes ces années vécues par son père. « Il n’avait rien à regretter de sa vie, je crois. C’était autre chose. Au fond, il n’en revenait pas. Que tout soit allé si vite et se trouve désormais accompli…»
Mise en scène du temps qui passe, recherche du temps perdu, dans un style ample qui épouse le mouvement de la pensée et explore l’intime et l’universel, Le siècle des nuages est ce qui reste d’une vie et d’un siècle quand un romancier s’en empare, « cette pauvre petite chose de papier usé qu’on nomme un roman ».
Bénédicte Pianelli Liber
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