Soirée spéciale consacrée à l'écrivain Janet Frame (Dunedin, Nouvelle-Zélande, 1924, Dunedin, 2004 ).
Ma terre mon île(To the Is-land, 1982), seul volume disponible en français chez Losfeld.
Un été à Willowglen( An angel at my table, 1984).
Le messager ( The envoy from mirror, 1984).
Dans les années quatre vingt, Janet Frame, publie son autobiographie pour dire au monde qui elle est et pour que le monde cesse de le dire à sa place. Les mots, c'est son domaine, une passion depuis l'enfance, quand ils lui arrivent, par l'école, par la mère, qui transmet, entre deux lessives : " Seuls les poètes savent, seuls les poètes comprennent." Dans cette famille ouvrière néozélandaise hantée par un quotidien écrasant -" Un monde menaçant de contradictions où les mots parlés et écrits prenaient un pouvoir particulier."- la petite Janet veut écrire et jongler avec les mots entre réalité, rêve et poésie.
Trois volumes revisitant la vie de Janet Frame de la naissance à la maturité (le moment où elle revient dans son pays d'origine après un long voyage initiatique en Europe qui l'a aidée à "consolider" son identité) vont faire le tour du monde, grâce à l'adaptation qu'en a fait la cinéaste Jane Campion sous le titre d' "Un ange à ma table", Grand Prix Spécial du Jury, Venise, 1990. Leur acuité, leur justesse de ton sont des préludes qui nous rendent déjà familier l'univers romanesque de l'écrivain.
Son premier roman Les hiboux pleurent vraiment fut publié en 1957, au sortir d'une longue épreuve personnelle et à l'aube d'une vie à reconstruire.
Janet a la trentaine et comme seules expériences, son enfance, son adolescence et deux cents électrochocs qui lui font vaciller la mémoire. Le reste, huit années, elle l'a perdu, dans des institutions psychiatriques qui l'ont enfermée et déclarée, à tord, schizophrène. La force d'écrire quelques nouvelles avait quand même vaincu la détresse éprouvée à l'asile et un premier recueil avait vu le jour, The lagoon( 1951 ) (Le lagon et autres nouvelles, Des Femmes, 2006). Ce livre obtint un prix, le Hubert Church Prose Award, la veille d'un événement qui aurait pu privé Janet de sa part la plus précieuse, sa créativité. Tout était prêt : l'accord de la famille, qui n'y connaissait rien, la salle d'opération, le crâne rasé... Janet a été sauvée par ses lecteurs d'une lobotomie programmée. Elle peut quitter enfin l'hôpital et tenter de devenir ce qu'elle a toujours rêver d'être: "Chaque jour et chaque nuit, j'étais en relation avec l'humanité inaltérable qui est la véritable source de la fiction..."
Sa première oeuvre écrite en liberté, Les hiboux pleurent vraiment, sera une fiction, elle y tient et si l'on y retrouve des traces autobiographiques, c'est un matériau de base qu'elle transforme au gré de sa vision créatrice. Janet Frame, tout en étant très terre à terre, a toujours vécu "littérairement". La littérature lui dit toutes les expériences humaines, de Shakespeare et Virginia Woolf à Dylan Thomas et Albert Camus. Elle veut participer à cette aventure : " Ce fut mon obstination à m'approprier ce monde, plutôt que de me fondre en lui, qui accrut mon désir d'écrire. "
Elle nous raconte une humble famille du sud de la Nouvelle Zélande, les Withers, dont la richesse est faite des rêves de chacun et le dénuement de leur altération. Tout en suivant les grandes étapes de la vie des personnages où les enfants grandiront et les parents vieilliront, l'exploration de toutes ces vies est intérieure et instantanée mêlant les pensées personnelles, les événements, les points de vue... Un rythme alternant prose et poèmes, comptines, journal, lettres, chansons, répétitions, dialogues et narration donnent à l'écriture une liberté qui permet à Janet Frame d' aller au plus près de la vibration du coeur et de l'esprit humains et de livrer une perception poétique de la nature et du déroulement des choses. Quand Francie, une des trois filles, doit quitter l'école, contre son gré, elle reste seule à la maison avec sa toute petite soeur et c'est le premier jour de sa nouvelle vie qui l'exile de tout ce qui l'animait auparavant :
" Puis les enfants partent à l'école et la petite joue dans la cour. C'est Poulette, poulet parce qu'elle est petite et noire. Francie est là. Elle n'est pas petite mais elle a douze ans , treize après Noël, et elle a quitté l'école maintenant pour faire son chemin dans le monde et réussir. Et être de ce jour qui est éternel. "
Elle pense à ses camarades, à ce qu'elles sont en train de faire, puis de la cuisine, où elle a le temps de boire maintenant le thé du matin avec sa mère, elle entend les bruits du dehors :
" Au coeur de la matinée éternelle, il y a un oiseau posé dehors sur le prunier, un chien qui aboie, la voix du boulanger qui appelle le voisin de porte pour lui demander:
- Vous a-t-on livré votre pain ce week-end?
Les mots se glissent à travers la haie de houx et se piquent au passage avant d'entrer par la fenêtre de la cuisine, des mots fermes et rouges qui tombent comme des boules de houx à l'odeur de pain, de primevère et de théière. "
Visages noyés (Rivages poche) publié sous le titre de Faces in the water (1961)
Le jardin aveugle (Rivages poche), Scented gardens for the blind (1953) et
La fille-bison (Losfeld), Daughter buffalo (1981)
sont les autres romans que l'ont peut trouver en français.
D'autres romans, nouvelles, beaucoup de poèmes, attendent une traduction.
Les citations sont de Janet Frame et extraites des trois volumes de son autobiographie et de son roman Les hiboux pleurent vraiment.
|