Pays sans chapeau de Dany Laferrière (Le Serpent à Plumes)
Les livres de Dany Laferrière nous entraînent à la suite d’un homme habité par la présence-absence d’un pays, Haïti, dont la dictature l’a chassé, comme elle avait déjà chassé son père. Les mère, grand-mère, sœur, tante, restent au pays, les hommes doivent le quitter. Sur la terre d’accueil, Montréal, l’écriture naît. Elle suit les pas d’un homme dans la ville, dans sa vie (Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer). Puis franchit la mer et revient aux origines (L’odeur du café, Le charme des après-midi sans fin), au temps où tout s’inscrit dans le corps et sera retrouvé par les mots.
Dans cette mouvance, Pays sans chapeau, est l’histoire d’un retour, celui du narrateur, « écrivain primitif » qui retrouve Haïti et ses habitants, famille, amis, après vingt ans d’exil. Il retrouve les vivants et les morts. En Haïti ceux qui ont vécu sont aussi présents que ceux qui vivent. Ils habitent un pays où l’on a plus besoin de chapeau. Dans l’humour, la légèreté et l’émotion à fleur de mot, l’auteur explore ce compagnonnage tel que le pratiquent les Haïtiens et qui fait d’eux, un « peuple de peintres », comme l’avait découvert Malraux, et aussi un peuple d’écrivains.
« Pays réel
Le café
D’abord l’odeur. L’odeur du café des Palmes. Le meilleur café au monde, selon ma grand-mère. Da a passé toute sa vie à boire ce café.
J’approche la tasse fumante de mon nez. Toute mon enfance me monte à la tête.
Je jette trois gouttes de café par terre pour saluer Da.
Pays sans chapeau
Ma mère sourit.
-T’inquiète pas pour Da, je lui donne une bonne tasse de café chaque matin.
-Elle ne peut pas faire autrement, ajoute tante Renée, sinon elle se servira elle-même.
-C’est vrai, dit ma mère en souriant. Une fois j’ai oublié de la servir. Eh bien ! à un moment donné, j’ai eu l’impression que quelqu’un m’arrachait la tasse de la main… »
« Pays rêvé
Ah ! je me souviens de cette armée de zombis que le vieux Président avait menacé de lancer contre les Américains s’ils osaient mettre un seul pied sur le sol d’Haïti. Le général de l’armée morte. Je me souviens très bien de cet épisode. J’étais à Miami, à l’époque, et le Miami Herald avait rapporté les paroles du vieux Président. Où était donc cette armée quand les Américains ont débarqué?
Le visage de ma mère devient subitement grave.
-Elle était là, finit-elle par articuler. Elle a attendu les ordres. Finalement, le vieux Président a conclu un pacte avec le jeune Président américain. L’armée américaine occupera le pays durant le jour. L’armée des zombis l’aura la nuit à sa disposition… »
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